Amicale des anciens élèves des lycées Clemenceau et Jules Verne de Nantes

Commémoration de l’Armistice 1918 – Mardi 12 novembre 2019
Témoignage de Bernard Allaire
Chers amis, qui avez nos lycées au coeur, en ce soir de Commémoration de
l’Armistice, je m’interroge. Au-delà de l’émotion et du sentiment d’effarement qui revient chaque année en ce moment si particulier, que dire en effet, qui soit nouveau, consolateur, porteur d’espérance ; qui soit respectueux des acteurs-victimes de cette tragédie ; et qui, dans le même temps, ne soit aucunement le prétexte à une apologie des tueries de masse ?
Alors je me suis dit que peut-être la douceur d’une illustration du passé pourrait nous inspirer et raviver le présent ?
Nul n’est évidemment totalement exemplaire. Même les meilleurs.Mais il arrive parfois que certains soient « un peu plus meilleurs » que d’autres.
C’est le cas de quelqu’un dont je voudrais témoigner aujourd’hui. Qui, outre le fait qu’il a été lui-même élève de notre lycée Clemenceau, puis membre de l’Amicale des anciens élèves, a évidemment un lien particulièrement fort avec notre sujet de ce soir : la Commémoration du second Armistice du 11 novembre 1918.

Si je dis « second », c’est qu’en effet il a été précédé d’un premier, dit « Armistice de Salonique », le 27 septembre 1918, demandé par la Bulgarie, alors massivement défaite en Macédoine et en Serbie par l’armée  d’Orient envoyée de France dans les Balkans par Clemenceau, et commandée par le général Franchet d’Espérey.

Ceci fut déterminant pour la suite. En effet, pour les Allemands, dont les Bulgares étaient de précieux alliés sur le front Est, ce fut la confirmation de l’effondrement. Ce qui les conduisit à demander à leur tour l’Armistice, lequel se concrétisa en cet illustre jour du 11 novembre, soit 75 jours après.

Or il se trouve que l’homme dont je voudrais vous parler, y était justement, à Salonique, depuis mai 1917 ! (Après avoir fait la Marne, la Somme, la Champagne, et Verdun à partir de1914).

Affecté comme brancardier (au civil, il était pharmacien), puis comme faisant fonction de médecin du bataillon, il n’est revenu de Salonique (en bateau hôpital)
C’est pourquoi je persiste d’ailleurs à rappeler qu’il convient de parler de la guerre « 14-19 ». Et non pas 14-18.

De retour en France (en proie au paludisme) il n’a de cesse que la solidarité et l’entraide avec ses anciens compagnons ne s’effrite pas. 1925, il fonde l’Amicale des Poilus d’Orient de Loire Inférieure dont il est élu
Président (Il le sera sans interruption jusqu’à sa mort en 1954). Président d’honneur : Aristide Briand, ancien ministre, Prix Nobel de la Paix 1926. Et ancien élève du lycée Clemenceau.

Puis il devient Vice-Président National de la Fédération des Anciens Combattants d’Orient qui regroupe alors soixante associations départementales).
Au palmarès de ses décorations et distinctions honorifiques : Croix du Combattant,
Aigle Blanc de Serbie, Croix de Saint Sava, médaille commémorative d’Orient, médaille commémorative yougoslave, médaille de la Victoire, médaille des épidémies, Légion d’Honneur, Palmes Académiques…
Par ailleurs, alors qu’il est pharmacien, il entreprend ses études de médecine, passe sa thèse et commence d’exercer comme médecin à Nantes. (1929).
Puis vient le temps de la seconde guerre mondiale.
Mobilisé de nouveau, cette fois comme Pharmacien-Capitaine et chef de labo posté à Quimper. Il est fait prisonnier jusqu’en juillet 1940.
Inscrit comme otage nantais jusqu’en février 1942, volontaire Défense Passive, médecin pour les juifs persécutés…
Et ce fut ma naissance en pleine Occupation (1941).
Vous l’aurez peut-être deviné, cet homme était mon père (né en 1889).
De sa vie, si riche, si engagée, que m’a-t-il donc transmis de si précieux qui nous soit possiblement utile à toutes et tous aujourd’hui ?
Cela tient en un seul poème, qu’il avait tant souhaité que je l’apprenne.
C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
Et qui disait: » A boire! à boire par pitié ! »
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. »
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : « Caramba! »
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père.
Victor Hugo – La Légende des Siècles – Après la bataille

On me rétorquera qu’il s’agit là d’une posture idéaliste, qui semble avoir bien peu de prise sur les identitarismes et communautarismes qui font fureur à l’heure actuelle dans ce monde en proie à la pulsion d’essentialiser.

L’objection est tout à fait juste.Raison de plus pour nous regrouper et revendiquer cet idéal ! Sans jamais cesser d’espérer de magnifiques renversements de l’Histoire ; telle, improbable, cette chute du Mur de Berlin dont on célèbre par ailleurs le 30ème anniversaire ! Voilà tout le bonheur hyper réaliste que je nous souhaite ! Et que je réitère au travers de cette citation :
« Quand on s’est battu comme nous nous sommes battus, et quand, après la victoire on retrouve son ancien adversaire, on a le droit de lui dire : « est-ce que ce sera toujours la même chose ? Est-ce qu’il faudra recommencer tous les dix ans ? » Et quand on pense aux ruines que la victoire laisse dans un pays victorieux, quand on pense aux richesses anéanties pour des années, à toute l’énorme perte de substances matérielles et morales qu’implique la guerre, chercher à éviter cela, c’est peut-être bien un effet de la maladie du « Messianisme », mais si vraiment il est des maladies qui peuvent engendrer de pareilles idées, bénies soient ces maladies !

Aristide Briand, Justement cité par mon père, qui était l’un de ses amis, lors de son allocution radiodiffusée le 13 juillet 1937 pour l’inauguration de la plaque commémorative
Aristide Briand à Nantes.
Mon père ?
Ne me demandez pas son nom. Sachez seulement que ce n’est pas le même que le mien. Car s’il a su m’aimer, et me faire aimer son message, s’il a su me transmettre cette vérité que même pour un patriote, il n’y a jamais d’ennemi héréditaire, en revanche, du fait de sa vie double et de la bien-pensance del’époque, il n’a pas su me rendre « héréditaire » de son nom.
Mais il reste à mes yeux ce vrai et humble héros de 14-19 et de 39-45, qui a disparu à l’aube de mes 13 ans.
Alors, d’autant plus ce soir, rendons hommage à tous ceux qui lui ont ressemblé, et pareillement, à tous leurs enfants et petits-enfants !

Allocution de Madame de LOUPY

 

Allocution d’Evelyne KIRN – VICE PRESIDENTE DE L’AMICALE

Jean-Louis LITERS et Jean BOURGEON